Pour le cavalier, l'apprentissage de
l'équitation consiste, dans un premier temps, à tenir en équilibre
sur un cheval en mouvement. Il doit être décontracté et tonique,
attentif à son propre corps et à ses mouvements pour pouvoir se
lier à son cheval.
Mais le cheval, n'est ni un agrès , ni
un « milieu », le cheval que monte le cavalier est unique
car c'est un être, un individu à part entière, avec une volonté
propre et surtout des émotions.
Le cavalier ressent bien des choses sur
son cheval d'école, bien plus de choses que sur un simulateur qui
bouge comme un cheval. Ces « choses » génèrent souvent
une appréhension légitime. Pour éviter que cette appréhension ne
se transforme en peur, le cavalier va se fermer à ses sensations et
va se concentrer sur la technique à acquérir coûte que coûte,
encouragé par certains moniteurs qui conseillent, de : « ne
pas montrer qu'on a peur » , « ne pas avoir d'état d'âme
à cheval » , « de cesser de se poser des questions et
de faire ». Ces enseignants conseillent l'incongruence à leurs
cavaliers, la pire des solutions pour un cheval.
Pour apprendre à gérer son équilibre
physique sur un cheval , le cavalier doit pouvoir gérer son
équilibre psychique. Il a des émotions, le cheval a des émotions
et ensemble ils vont devoir accorder leurs émotions.
Pourrait-on envisager de commencer
l'équitation à pied pour apprendre à: comprendre, accepter , gérer
nos émotions respectives avant de gérer notre équilibre physique
l'un sur l'autre?
Émotions : l'humain est un animal comme un autre
Lorsque nous sommes confrontés à notre
environnement, notre corps réagit en fonction de nos expériences
passées. Une situation donnée, dans un environnement donné,
génère une émotion : un état d'esprit et une attitude
corporelle, une expression faciale, un désir de certains mouvements, une façon d’exécuter ces mouvements,
une expression orale ect.
Une émotions est une réaction
psychologique et physique, une manifestation interne et externe à
une interprétation de la réalité.
Le système limbique, notamment
le complexe amygdalien, exerce un rôle fondamental dans ces
processus.
Les animaux ont des émotions.
Le cheval est un herbivore social qui a
développé la fuite comme moyen de survie. De ce fait, il est très
émotif.
Même si elles sont rapides, les transformations physiques dues aux émotions, sont parfaitement "lisibles". Donc les émotions servent à communiquer.
Même si elles sont rapides, les transformations physiques dues aux émotions, sont parfaitement "lisibles". Donc les émotions servent à communiquer.
Peur : des chevaux dispersés
broutent tranquillement dans un pré. L'un d'eux prend peur et tout
le troupeau fuit.
Joie : après 3 semaines de soin
Poney rejoint enfin la reprise et retrouve ses congénères. Toute la
reprise s’égaie dans le manège.
Tristesse : un cheval qui a perdu
son compagnon de vie peut se laisser envahir de tristesse jusqu'à la
dépression voire la mort.
Tous ceux qui côtoient les animaux et
les chevaux en particulier ne peuvent douter que les animaux
éprouvent des émotions.
Tous leurs choix et leurs prises de
décision sont dictés par leurs émotions. Il en va de même pour
nous , humains, la raison ne nous sert qu'à justifier à postériori
ces prises de décision.
Dans notre langage oral les émotions
transparaissent facilement et le sens du discours change selon
l'émotion qui y est associé. Par écrit, c'est le choix des mots
qui peut laisser apparaître les émotions de l'auteur.
Pudeur ?
Dans notre société de rentabilité
les émotions ont mauvaise presse. On les étouffe ou, pire encore, on
les nie. Si ce n'est pas le cas : on les classe, en bonnes et
mauvaises, positives et négatives.
Elles sont toutes utiles : la peur
prévient du danger, la colère permet de maintenir l'intégrité de
la personne, le dégoût empêche de s'empoisonner au propre comme au
figuré, ect
La joie peut être fort négative si
elle s'exprime hors de propos, elle peut mettre la personne en
danger.
N: 12ans, était très satisfait d'une
séance particulièrement réussie avec Tismaëlle. Il
était content, joyeux et a voulu partager sa joie avec sa monture en
lui brossant la tête, ce qu'elle aime beaucoup. Mais trop de joie, a
rendu les gestes de N inadéquats et Tismaëlle a fait mine de le
mordre. La joie a disparue instantanément remplacée par la colère.
C'est vers 6 ou 7 ans que les enfants
commencent à cacher leur émotions, les garçons plus que les
filles : « soit un homme mon fils". À cet âge, les
notions de bien et mal, sont ancrées chez la plupart et le jugement
de valeur des autres est important. Ce n'est pas bien d'être en
colère, parce qu'on est méchant; d'avoir peur, parce qu'on est lâche
ect... Mais aussi parce que n'est pas bien d'exprimer sa joie lorsqu'
on a mis quelqu'un en difficulté : on est « encore plus
méchant ».
Or on n'« est » pas son
émotion. Les enfants ont besoin d'apprendre très tôt à mettre des
mots sur leurs émotions pour se les approprier et donc mieux les
gérer. Ils ont besoin de savoir qu'ils ont
des émotions et ne sont pas
leurs émotions, qu'il faut laisser les émotions aller et venir, ne
pas les étouffer, mais ne pas les entretenir, ni les ressasser.
Pour
cela les chevaux sont de bons exemples : leurs émotions ne
tiennent pas en place. Il suffit qu'un élément d'une situation
donnée change pour que leur émotion change.
Lorsque N a réussi à lâcher sa
colère après la menace de Tismaëlle, celle-ci c'est rapprochée
immédiatement et lui a fait un « câlin » : elle
s'est frottée la tête contre lui. Tout ressentiment était envolé
de part et d'autre.
Les adultes ont beaucoup de mal à
parler émotions : cela ne fait pas sérieux, pas réfléchi,
pas adulte. Ce n'est pas objectif : ça c'est sûr, puisque
les émotions dépendent de la personne donc du sujet, elles sont
subjectives par essence.
À la question : « que
ressentez-vous » ? On me parle du cheval. « Il a
l'air comme ceci , comme cela, on dirait que le cheval est ceci ou
cela ».
Adulte, on est pudique, on cache, on se
retient , on se fige, on est incongruent, bien plus que les enfants.
Congruence : la justesse de l'intention et de l'émotion.
L'émotion étant de l'ordre du réflexe,
il est difficile de maîtriser tout les aspects physiques qu'elle met
en jeu : l'attitude corporelle , le regard , la voix ,
l'expression faciale, les mouvements ect.
Alors nous tentons de retenir
l'expression de l'émotion, donc nous nous figeons, nous nous
crispons et nous ne respirons plus librement.
Cette altération de la respiration, même infime, et ces micro
crispations sont perçues par notre cheval.
Ce manque de congruence exprime un
manque de confiance en soi, voir une défiance de soi. Les émotions
sont chargées de préserver notre intégrité physique et psychique.
Comment un cheval pourrait avoir envie de rester en compagnie de
quelqu'un qui se méfie de lui-même? Comment cette personne, qui
n'est pas fiable pour elle même, pourrait l'être pour quelqu'un
d'autre ?
Si la peur sincère du cavalier est
parfaitement gérable pour certains chevaux : des fortes
personnalités qui prennent le cavalier en charge, l'incongruence du
cavalier provoque systématiquement la peur du cheval et l'envie de
s'en séparer.
Montoir : S 14 ans
monte sur Cupidon en m'assurant qu'elle savait monter à cheval et
n'avait monté que dans des écuries qui pratiquaient « l'équitation
éthologique ».
À
peine en selle, le cheval, sans bouger d'un pas, redresse la tête ,
les yeux exorbités, l'encolure renversée, le dos creux : « au
secours ! »
Je
demande à la cavalière comment elle se sent, ce qu'elle ressent.
Elle ne sent ni ne ressent rien.
"-Tu
n'as pas peur?- Pas du tout !"
L'attitude
du cheval s'accentue.
Cette
enfant montait systématiquement avec la peur au ventre, mais elle avait
appris à la nier si bien qu'elle ne la ressentait plus. Cupidon, par
contre, dégustait.
L'effet miroir :
contagion émotionnelle et empathie
La
contagion émotionnelle
est
un transfert d'émotions d'une personne à une autre qui dépend de
l'intensité avec laquelle ces émotions sont exprimées et de la
capacité du récepteur à les recevoir. Or les chevaux sont
d'excellents récepteurs. Et nous, cavaliers, nous le sommes aussi
et souvent inconsciemment.
Iezalel est agacé, sur l’œil, la
clôture risque de lui sauter sur dos, c'est terrible de passer près
de la clôture (alors qu'il tend la tête dessous pour brouter de
l'autre coté lorsqu'il est seul).
Je demande à M (adulte) ce qu'elle
ressent :
«- Il a peur, il est énervé, il
ne veut pas passer près de la clôture. »
M a parfaitement compris Iezalel, elle
est en empathie avec le cheval.
-Mais vous, que ressentez-vous ?
Pas de réponse, je reprends :
vous êtes en sécurité, il ne vous bousculera pas, ne vous tapera
pas, ne vous mordra pas.... Est-ce que passer près de la clôture est important?
Après un temps d'hésitation :
« je n'arrive pas à le faire passer près de la clôture, je
suis énervée, j'ai peur . »
Le cheval exprimait exactement l'état
d'esprit de M qui n'arrivait pas à prendre conscience de ses propres
émotions, il agissait en miroir, en réfléchissant les émotions de
M, par contagion émotionnelle.
Des émotions aussi importantes que la
peur et la colère dont le but est de préserver l'intégrité de
l'individu sont facilement contagieuses.
L'empathie
est la capacité de percevoir et reconnaître les
émotions d'autrui donc les états émotionnels et les sentiments de
l'autre. Les psys parlent même d'empathie cognitive pour
comprendre les croyances de leur patients.
Des études on été faites en
psychologie et en neuroscience. L'empathie est une capacité qui
existe et se développe.
Pour Jean Decety de l'université de
Chicago, l’empathie, capacité à partager les émotions avec
autrui, sans confusion entre soi et l’autre, est un puissant moyen
de communication interindividuelle.
Un moyen de communication que les
chevaux utilisent pour communiquer avec nous.
N veut que Tismaëlle, en longe, tourne
autour d'un plot. Tismaëlle « veut que N, en longe, ramasse et
repositionne le plot, qu'elle s’évertue de renverser
« consciencieusement » à chaque passage ». Après
la troisième remise en place du plot, la jument fait face à N, oreilles couchées, coup
de menton provocateur, tapant le sol des antérieurs.
J'interviens énergiquement :
contagion émotionnelle.
N peste et râle : « elle
veut pas m'obéir, la sss » il ne finit pas sa phrase, mais il
est en très colère, d'où la colère de la jument. Toujours
contagion émotionnelle.
« -elle veut pas tourner , elle
fait exprès de faire tomber le plot.
-Oui, (car il faut toujours commencer par reconnaître le point de vue de l'autre pour éventuellement l'amener à le modifier) mais comme tu le ramasses ,
peut-être qu'elle s'imagine que c'est le but du jeu ? »
Nous discutons pour faire tomber la
colère, la jument est près de moi.
Soudain N se détourne et se met à
pleurer, la jument se retourne, va vers lui et met son nez dans l'une
de ses mains. Empathie. Réconciliation.
Agir avec empathie signifie agir en
fonction des émotions de l'autre. Cela ne signifie pas être
systématiquement « gentil » avec l'autre. Lorsque l'état
émotionnel d'une personne ne plaît pas à l'un des chevaux, il
refuse d'approcher cette personne.
Les émotions : un moyen de communication au service de la relation
Lorsqu'un
cheval a un comportement qui semble inapproprié, il serait bon de
marquer une pause pour nous demander ce que nous ressentons. Cette ou
ces émotions sont-elles bien les nôtres ou sont-elles celles de notre cheval ?
Même si l'analyse de la situation est difficile, cette pause va nous
permettre de nous recentrer. Porter notre attention sur nos émotions
nous permet de les relativiser, de les lâcher, de les laisser filer,
de les prendre pour ce qu'elles sont : des informations sur ce
qui est le plus important : la relation avec l'autre.
Cette
pause suffit généralement à détendre l’atmosphère et à
retrouver toute la décontraction nécessaire à la suite du travail.
Les
chevaux ont des émotions, sont sujets à la contagion émotionnelle
même inter-espèces, et pratiquent l'empathie. Nous, humains, avons
des émotions, sommes sujets à la contagion émotionnelle et … il
ne nous reste plus qu'à pratiquer l'empathie pour agir enfin en
fonction de ce que ressent notre cheval et l'autre en général.
Pour aller plus loin:
http://www.cheval-savoir.com/1950-dressage-beaupere-que-faire-pour-eviter-colere-impatience-frustration
http://www.haras-nationaux.fr/information/accueil-equipaedia/articles-equidee/document/telechargement/les-competences-emotionnelles-en-equitation.html
http://www.cheval-savoir.com/1914-cheval-empathie
Empathie suite
On
a observé que les même neurones sont en jeu chez celui qui a mal
que chez chez celui qui le voit « blesser »Lorsqu’on
présente à des personnes des images qui suggèrent qu'une autre
personne a mal, un tiers des personnes ressentent une douleur au même
endroit de leur corps (empathie sensorielle), deux tiers sont
perturbées mais ne ressentent pas elles-mêmes la douleur (empathie
affective) ces observations ont été faites par IRM.
Ce
mécanisme de résonance sensori-somatique entre autrui et soi,
relativement primitif sur les plans évolutif et ontogénétique (il
semblerait en place dès la naissance), joue un rôle crucial dans le
développement de l’empathie et du raisonnement moral, en nous
permettant de partager la détresse des autres et de déclencher une
inhibition des comportements agressifs. Dans le cas de la douleur, il
semblerait que nous soyons prédisposés à ressentir la détresse
des autres comme un stimulus aversif et que nous apprenions à éviter
les actions associées à cette détresse. Ceci a été observé sur
des rats qui refusent d'appuyer sur un boutons s'ils voient un de
leur congénère subir une décharge électrique.
Un
certain nombre de chercheurs (comme le psychologue Frans de Waal,
Jean Decety et Vittorio Gallese) ont proposé que les neurones
miroirs découvert chez l'animal au cours des années 90 et chez
l'homme depuis 2010, jouent un rôle important dans l'empathie,
notamment sur la base du fait qu'un système miroir semble exister
pour les émotions : par exemple, la partie antérieure du lobe de
l'insula, est active aussi bien quand la personne éprouve du dégoût
que lorsqu'elle voit quelqu'un exprimant du dégoût. Cela éclaire
d'un jour nouveau le phénomène connu de contagion émotionnelle et
les effets de masse.
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